Pieds dans le PAF - association d'éducation aux médias

Ouvrir les yeux


Le documentaire « Ouvrir la voix » d’Amandine Gay donne la parole aux oubliées des écrans.

Avec Ouvrir la voix, on se situe à mi-chemin entre le document de travail sociologique et le documentaire politico-artistique. Le film d’Amandine Gay est une juxtaposition de témoignages de femmes noires, en très gros plan, avec peu de respirations. Leurs paroles sont rassemblées en séquences titrées (ex : « j’adore les roux »). Quelques « interludes » viennent apporter un peu d’air, où l’on voit certaines protagonistes dans leur cadre professionnel, notamment théâtral.

C’est un film-remède : il parle de racisme et de sexualité, et cela fait toujours du bien. Mais c’est aussi sa volonté de réhabilitation qui soulage. Il y a un mélange de malaise et de délectation à voir ces femmes noires investir ainsi la parole : malaise de réaliser à quel point elles sont habituellement inaudibles dans la sphère publique, bonheur de les entendre enfin.

 Pourquoi n’entend-on pas les femmes noires sur nos écrans, les chômeurs et les pauvres ?

Ces femmes parlent beaucoup de racisme, de discrimination et d’emploi, mais encore de la manière dont elles sont sexuellement perçues. Elles décrivent comment le monde blanc les voit (et quand on dit « monde blanc », en France, on parle de toute la société, tout comme lorsqu’on parle des hommes par rapport aux femmes, on parle encore de toute la société), et les exclut de la normalité des femmes. C’est ce droit à incarner la normalité qu’elles revendiquent. Une femme noire ne peut être autre chose qu’une femme noire, et ne renvoie qu’à elle-même.

Le documentaire d’Amandine Gay sorti en décembre 2016.

On sort de ce film la tête pleine de questions : sur nos écrans où l’on cause à toute heure, pourquoi on n’entend pas les femmes, les Noirs, les femmes noires, les chômeurs et les pauvres ? La normalité, est-ce d’être homme, blanc, pas trop jeune pas trop vieux, avec un statut respectable, le même profil que nos élites politiques, culturelles, médiatiques, et que nos patrons ?

Placer ce type-ci à l’épicentre de la normalité est-il un moyen de préserver l’ordre social, sans quoi des hordes de féministes qui ne supportent plus les inégalités salariales, des foules de Noirs ou d’Arabes qui vomissent les petites phrases racistes, des torrents de pauvres épuisés du mépris qu’ils subissent, déferleront dans les rues pour renverser l’ordre des choses ?

Ouvrir la voix, c’est un film sur les femmes noires… qui s’adresse aussi à tous les anormaux de ce monde médiatique. N’hésitez pas.

Retrouvez des extraits du film ainsi qu’un portrait d’Amandine Gay ici

Et ci-dessous un petit extra…

Hélène Alex